« Ukraine, le Munich du XXIème siècle »…
Ce qu’on ne nous a pas dit sur l’Ukraine
Article de fin mars 2014 d’un journaliste cubain Vincenç Navarro, poursuivi en juin 2014 par Miguel Esteban :
Les événements en Ukraine ont été présentés comme un soulèvement populaire contre un gouvernement corrompu et extrêmement impopulaire, ce qui logiquement a entraîné une sympathie généralisée, encouragée par certains grands médias occidentaux qui, encore figés dans une idéologie héritée de la Guerre froide, considèrent la Russie comme un ennemi. D’autant plus que celle-ci avait apporté son soutien au gouvernement de Yanoukovitch, alors que ceux qui s’opposaient à lui soutenaient l’adhésion de l’Ukraine à l’Europe !
D’où une lecture très favorable des contestations populaires contre le précédent gouvernement de Kiev, qui s’achevèrent violemment par la destitution de Victor Yakounovitch, rappelons nous-en, bien qu’il est été élu démocratiquement.
Il est évident que les manifestations antigouvernementales ont été alors un soulèvement populaire à l’origine. Par contre la réalité se révèle bien plus complexe que ce que les médias ont voulu nous faire croire à ce moment et encore…
En vérité, ce qui a été passé sous silence, c’est qu’aujourd’hui l’Ukraine est le seul pays en Europe où des membres d’un parti ouvertement nazi sont maintenant en position de force et au gouvernement ! Paradoxalement, ce parti nazi s’appelle Svoboda (Liberté) et ses membres au gouvernement sont le ministre de la Défense Ihor Tenioukh ; le vice-premier ministre pour les Affaires économiques est Oleksandr Sych, il est aussi l’idéologue de ce parti qui a notamment fait pression pour l’interdiction de l’avortement ; le ministre de l’agriculture, Ihor Shvaik est actuellement l’un des plus grands propriétaires terriens ukrainiens ; la ministre de l’Ecologie est Andriy Moknik, c’est elle qui fut le contact avec les groupes nazis européens ; le directeur du Conseil National de Sécurité est Andriy Parubiy, directeur de la milice militaire du parti ; le procureur général de l’Etat est Oleh Makhnitsky ; quant au ministre de l’Education c’est Serhiy Kvit, et ils y en a beaucoup d’autres : le nouveau gouvernement ukrainien est nettement sous l’influence de ce parti.
Le parti Svoboda, créé en 1991, est présenté comme le successeur de l’Organisation des nationalistes ukrainiens -OUN- fondée par Stepan Bandera, un personnage clé de l’histoire récente de l’Ukraine, que le parti considère comme sa plus grande inspiration. Il fut déclaré Héros national en 2010 par le président Viktor Iouchtchenko, qui fut remplacé par la suite par Viktor Yanoukovitch, le président dernièrement destitué par des manifestations populaires très attisées (notamment par Svoboda et ses soutiens étrangers, en particulier américain mais aussi allemand et français). A l’arrivée au pouvoir de Viktor Yanoukovitch, l’attribution du titre honorifique à Bandera fut annulée. Il est cependant fort probable que le nouveau gouvernement le lui restituera. L’enjeu est important !
En fait Bandera, dont l’attribution à titre posthume de « Héros national » fut très controversée, notamment par le Tribunal européen de Justice ( !), fut le principal allié du régime hitlérien en Ukraine. Il dirigea deux bataillons qui furent intégrés aux unités Waffen SS allemandes pour aider à la lutte contre l’Union Soviétique durant la deuxième guerre mondiale ; selon le Centre Simon Wiesenthal, ces bataillons arrêtèrent 4 000 juifs ukrainiens et les envoyèrent en camps de concentration à Lvid, en juillet 1941.
Les documents de l’OUN affirmaient clairement la nécessité de « nettoyer la race » en éliminant les juifs. Le professeur d’Histoire Gary Leupp de l’Université Tufos révèle dans un article détaillé sur l’Ukraine : The Sovereignty Argument, and the Real Problem of Faschism (« L’argument de la souveraineté et le réel problème du fascisme –dans le site ConterPunch, du 10 mars 2014. Sont offerts des textes entiers démontrant le caractère nazi de cette organisation. Lorsque l’Allemagne fasciste (après la Pologne) envahit l’Ukraine, Bandera déclara l’indépendance du pays et son gouvernement travailla « très étroitement et très fraternellement avec le national-socialisme de la Grande Allemagne, sous la direction d’Adolf Hitler » qui selon lui « était en train de construire une nouvelle Europe » (Est-ce celle-là souhaitée actuellement en Ukraine ? Souhaitée par Svoboda ? La Pologne de l’époque n’a pas réagi de la sorte…)
Svoboda, le parti dominant dans l’Ukraine d’aujourd’hui, se dit le fier héritier de l’organisation fondée par Bandera. Il se propose de purifier la société ukrainienne en poursuivant violemment les homosexuels, en interdisant l’avortement, en établissant un nouvel ordre basé sur la hiérarchie et la discipline, en insistant sur la virilité et l’attirail militaire, en appelant à l’expulsion de « la mafia juive moscovite » et en éliminant le communisme, en commençant par interdire le Parti Communiste, en poursuivant ses membres ou les intellectuels proches de cette idéologie.
Cette formation politique envisage également d’éliminer plus tard tous les autres partis. En réalité, son programme ne saurait être plus clair. En 2010, il n’y a pas si longtemps, on pouvait lire sur son site internet : « Pour créer une Ukraine libre… nous devons supprimer le Parlement et le parlementarisme, interdire tous les partis politiques, étatiser tous les médias, procéder à la purge de tout le secteur public et exécuter tous les membres des partis politiques anti-ukrainiens. »
Le Congrès mondial juif a déclaré ce parti comme un parti néonazi au mois de mai 2013 (il y a un an…). Et tout un chacun peut le voir sur internet…
Comment alors un parti néonazi peut-il gouverner l’Ukraine aujourd’hui, en recevant l’assentiment pour ne pas dire l’appui (anti-russe) de presque tous les médias d’occident et de leurs classes politiques ?
Au départ (il y a plus d’un an), les mobilisations populaires qui aboutirent à la chute du gouvernement étaient en majorité des mobilisations spontanées, peu organisées. Cependant, il fut facile pour un groupe parfois armé et aguerris, bénéficiant qui plus est d’un soutien politique international -que l’on pourrait qualifier de « aveugle », « volontairement aveugle » ou « inconscient » puisque ce groupe est un groupe nazi (Svoboda)- de finalement manipuler ces manifestations et de jouer un rôle important dans l’issue du mouvement populaire. Par ailleurs, aussi « paradoxal » que cela puisse paraître, aussi bien les Etats-Unis que l’Union-Européenne (surtout l’Allemagne de Mme Merkel) ont un rôle clé dans cette promotion de crise. En réalité, il semblerait que les Etats-Unis d’avantage que l’Union-Européenne, si ce n’est dans l’ « enfumage médiatique européiste » antirusse.
On se souvient des déplacements en Ukraine, du républicain étasunien John Mc Cain, et de ses propos auprès de Svoboda et d’opposants ukrainiens, dès le début de la crise. Des photos prises vers la fin de cet hiver, montrent aussi Victoria Nuland, dans les rues de Kiev, secrétaire d’Etat américain adjointe chargée de l’Europe et de l’Asie, acclamée et distribuant elle-même des poches d’aliments aux opposants ukrainiens (avant la chute de Yanoukovitch et l’installation au pouvoir de ces « opposants »)…
Ce fut précisément Victoria Nuland, une haute fonctionnaire d’extrême droite des Etats-Unis, nommée par le vice-président Cheney durant l’administration Bush, et maintenue à son poste par l’administration Obama, qui est l’un des plus grands soutiens actifs et ouverts du parti Svoboda : ce dernier a durci sa ligne anti-russe pendant les manifestations, pour ne pas parler d’une « anachronique » plus qu’hystérique ligne « anti-soviétique » !
C’est cette madame Nuland qui se serait écriée : « Fuck the E.U. ! » [« Que l’Union européenne aille se faire … »], lors d’une conversation téléphonique, en insistant sur le fait que le gouvernement des Etats-Unis devait tenir compte le plus possible du parti Svoboda, quelle que soit la mauvaise image qui en résulterait, en particulier au sein de l’U.E.
En réalité, il y a peu, ce parti n’avait obtenu que 10% des voix lors des élections précédentes (avant la crise ouverte). Son immense influence ne vient pas du soutien populaire, mais des manipulations qui ont eu lieu et dans lesquelles les administrations étasunienne et allemande ont joué un rôle déterminant et manipulant. Ces deux pays (et il y a là un relent de « Guerre Froide ») souhaitent élargir la zone d’influence de l’OTAN vers l’Est de l’Europe, et considèrent que la situation en Ukraine devrait favoriser cet objectif. De son côté, le ministre de la Défense, membre de Svoboda, est favorable à l’OTAN et il a étudié au Pentagone. Et bien sûr plutôt fasciste que communiste !
On comprend bien que le russe Vladimir Poutine, même s’il n’est pas communiste, ne peut pas laisser s’installer à Sébastopol (Crimée) ou à Odessa, ex-fleurons de la marine soviétique, des bases de l’OTAN ; il s’oppose par là-même au gouvernement de Kiev qui représente d’abord les intérêts de l’OTAN, et qui actuellement est confronté à une situation chaotique de guerre civile. En avril dernier, le gouvernement de Kiev a envoyé des forces réprimer les séparatistes « prorusses » de l’Est. La répression n’a pas eu lieu, alors que les forces russes se concentraient à la frontière est russo-ukrainienne, car en fait les soldats ukrainiens ont désobéi aux ordres de Kiev et ont fraternisé avec leurs frères de l’Est. Sans que les russes n’interviennent. Ces ukrainiens de l’Est ont même fait un referendum, qui actait la séparation du gouvernement de Kiev. Tous les gouvernements occidentaux se sont empressés de dénoncer ce referendum, comme « illégitime » ou « illégal »… Car voilà le drapeau rouge de la révolution avait été hissé ; et les « prorusses » étaient en fait aussi de dangereux « prosoviétiques », que Poutine n’était plus si sûr de vouloir appuyer…
La proclamation d’une « éphémère » République populaire de Donetsk est un démenti flagrant à la thèse impérialiste qui prétend que le communisme serait mort, thèse qui fait partie de l’idéologie officielle du monde occidental. Non, le communisme n’est pas mort, il est toujours vivant dans le cœur des masses et il ne demande qu’une étincelle pour se réveiller et embraser l’édifice vermoulu du capitalisme, quelle que soit sa forme, forcément « véreuse » et corrompue, impérialiste parlant anglais ou russe ou autres langues. Qu’en est-il aujourd’hui de cette République populaire ? Sans nostalgie c’est tout de même une organisation telle que le Komintern ou le Kominform, qui nous permettrait d’en savoir plus, malgré l’actuel enfumage médiatique global.
Des élections présidentielles à Kiev début juin 2014, et tant voulues par l’occident, ont placé l’oligarque Petro Porochenko, le « roi du chocolat » paraît-il, à la fortune estimée à un milliard de dollars, à la place de l’oligarque Yanoukovitch dont le défaut était d’être « prorusse » et qui fut chassé « par le peuple » (selon les médias) depuis plusieurs mois. Or la question est maintenant : quels sont les rapports entre Porochenko et le parti néonazi Svoboda ? Et quelle audience le président « pro-européiste » Porochenko donnera-t-il à ce parti au niveau européen ?
Pendant la campagne électorale, Porochenko avait promis d’ouvrir un dialogue avec les séparatistes pro-russes. A peine élu, il a choisi finalement la manière forte. Résultat, des dizaines de morts des deux côtés et une escalade guerrière dans l’est de l’Ukraine. Si Yanoukovitch avait fait la même chose et nettoyé la place Maidan avec des chars, on en parlerait encore et pour 20 ans, mais l’enjeu de classe n’était pas clairement le même. Une « République populaire » venait juste d’être proclamée par « des séparatistes » et la sécession « pro-russe » était viable, donc très dangereuse pour le capitalisme, l’impérialisme surtout européen et étasunien avec son projet d’expansion de l’OTAN…
Aujourd’hui, les troupes de Kiev massacrent leurs « compatriotes » de l’Est. Pendant ce temps, l’Occident se tait et encourage en fait (sans trop en parler médiatiquement) Porochenko dans sa sinistre besogne, digne de celle du français Adolf Thiers contre la Commune de Paris de fin du XIXème siècle. L’histoire se répète ? Il s’agit au plus vite de faire disparaître cette « République populaire de Donetsk », dont en fait, on ne sait pratiquement rien, si ce n’est qu’elle est en Crimée... On remarque également que la Russie ne bouge pas et ne soutient pas ceux que les médias appellent les « séparatistes pro-russes »…
Il semblerait que la crise ukrainienne et son danger fasciste a réveillé le spectre du communisme, avec la proclamation de la République populaire de Donetsk. La région de Donetsk était le cœur industriel de l’ex-URSS et elle a produit de nombreux héros prolétariens comme le mineur Stakhanov et Andrei Jdanov, le père de la fameuse doctrine Jdanov et du Kominform. Le communisme a donc de profondes racines historiques dans la région de Donetsk. Est-il en train d’y renaître ?
Il est clair pour des raisons historiques profondes et géographiques évidentes que la Russie et l’Ukraine sont intimement liées. La Crimée n’a-t-elle pas toujours été russe avant d’être rattachée arbitrairement par Nikita Khrouchtchev à l’Ukraine ? Toujours est-il que l’Ukraine a longtemps été considérée comme le « grenier à blé » de la Russie, les réserves minières de l’Empire russe ou de l’URSS, et l’accès à la Mer Noire, donc la possibilité de développer parmi les meilleures forces armées maritimes de la planète, principalement à Sébastopol (Crimée) ou à Odessa. La Russie fournit l’Ukraine en gaz, nécessaire pour se chauffer. Et il est difficilement concevable une Ukraine, qui après tant de siècles, divorcerait ainsi de la Russie.
Mais quel avenir pour cette Ukraine qui se fascise, après plus d’un an de quasi guerre civile ?
Aujourd’hui les élites gouvernementales des deux côtés de l’Atlantique se trouvent en situation de conflit. La Russie est devenue un Etat capitaliste et Poutine n’est certainement pas communiste. Bien sûr, il y a des contradictions entre les USA et la Russie, mais il ne s’agit pas de contradictions entre Etats à régimes sociaux avec des rapports de propriété différents, comme à l’époque de l’URSS. Ce sont des contradictions entre puissances impérialistes. De quel conflit s’agit-il donc ? D’un côté, le complexe militaro industriel des Etats-Unis, sur la défensive –du fait des coupes sombres dans les dépenses militaires par le gouvernement fédéral, résultat du rejet (bien compréhensible) de la population étasunienne des campagnes de guerre qui caractérisent la politique extérieure des Etats-Unis-, complexe militaro industriel qui en réalité souhaiterait réactiver la Guerre froide par tous les moyens afin de récupérer son rôle central dans le système politique et économique des Etats-Unis. Les intérêts des USA seraient donc en apparence les mêmes que ceux de Svoboda. Et il y a l’OTAN. De l’autre côté, cette stratégie est en contradiction avec les intérêts financiers et économiques de l’Union-Européenne, mais également finalement avec ceux des Etats-Unis. La Russie est actuellement le troisième partenaire commercial de l’Union-Européenne, après les Etats-Unis et la Chine, avec un échange commercial de plus de 50 milliards de dollars en 2012 [Bob Dreyfuss : « Capitalism Will Prevent a Cold War Over Ukraine », in The Nation, 10/03/2014]. Environ 75 % de tous les investissements étrangers en Russie proviennent de l’Union-Européenne, la Russie étant par ailleurs le premier fournisseur de gaz de l’Union-Européenne. L’interdépendance est évidente. Par ailleurs, le capital des grandes oligarchies russes est placé dans des banques européennes, majoritairement à la City de Londres… Des oligarques ne peuvent-ils pas être amis des USA ?
C’est pourquoi, on aura beau parler de pénaliser la Russie, une réelle action militaire est peu probable. Nous ne sommes apparemment pas à la veille de la Troisième Guerre Mondiale (surtout que d’autres foyers de guerres mineures semblent plus menaçants pour l’occident comme en Irak, en Syrie, dans le Sahara, le Moyen-Orient… ou autres endroits, et monopolisent des budgets de guerres toujours plus gros des puissances impérialistes), mais cela ne signifie pas que nous ne sommes pas en train d’assister au renouveau du nazisme surtout en Europe, soutenu paradoxalement par des élites gouvernementales des deux côtés de l’Atlantique Nord. Svoboda apparaît comme la main dure nécessaire pour faire appliquer les politiques néolibérales que le gouvernement ukrainien devra mettre en œuvre pour faciliter son intégration dans l’Union-Européenne. Et comme Svoboda, n’est-ce pas le cas de tous les partis d’extrême droite en Europe (qui bien souvent se qualifient eux-mêmes de « populaires », lorsque ce n’est pas celui de « défenseur de la Liberté ») avec une « main propre et ferme » ? De plus le capitalisme globalisé, même chaotique, ne saurait s’accommoder de l’existence d’une nouvelle « Commune » ou « République populaire de Donetsk » ou d’ailleurs. En cette année du 90ème anniversaire de la disparition physique de Lénine, on sait que la dernière tentative a duré 74 ans et ses répercutions ont été planétaires ! C’était l’URSS. Son souvenir accompagne ce spectre qui ne hante pas que l’Europe ou l’Union-Européenne, mais le Monde globalisé. Cela signifie aussi et surtout que le communisme que certains croient mort a de l’avenir et que la lutte promet d’être très dure. Car les fascistes sont là, de retour en force.
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