jeudi 12 novembre 2020

Les gros sabots cloutés de l’Action française.

 
  
 
Il est des jours où vos adversaires politiques vous font littéralement pitié. C’est en effet avec une réelle consternation et un sentiment de honte pour son auteur que nous avons découvert la lettre au ministre de l’Intérieur Darmanin par laquelle l’actuel secrétaire général de l’Action française appelle à la dissolution du Parti communiste français.

Présentée par la presse d’extrême droite comme une sorte de réponse du berger à la bergère après l’appel d’Eric Coquerel à la dissolution de Génération identitaire, et dans L’Incorrect, journal inspiré par la ligne de Marion Maréchal-Le Pen, comme un « exercice aussi ironique que salutaire », la lettre nous a semblé pourtant relever moins de l’ironie socratique que de la lourdeur sophistique.


                  

François Bel-Ker, son rédacteur donc, croit-il malin de présenter le PCF comme le « Parti des 75 000 collaborateurs », par allusion au « Parti des 75 000 fusillés » ? Les historiens bien-pensant ont toujours cru de bon ton d’ergoter sur le chiffre. On avait cru Michel Onfray indépassable lorsqu’il n’avait pas hésité à insulter la mémoire de Guy Môquet, autre « collabo » de dix-sept ans pourtant assassiné par les troupes d’occupation allemandes à Châteaubriant. La barre avait donc été placée très haut, mais qu’à cela ne tienne, avec l’Action française 75 000 communistes exécutés par les nazis deviennent par magie 75 000 collabos des nazis. Plus c’est gros plus ça marche, mais cette fois Goebbels lui-même n’y avait pas pensé. Et cette transfiguration nous vient des héritiers de Maurras curieux « germanophobe » qui avait pourtant obtenu des autorisés d’occupation un permis de port d’armes pour mieux continuer à se livrer à ses appels au meurtre contre les résistants (cf. sources archivistiques fournies par Annie Lacroix-Riz, La Non-Epuration en France. De 1943 aux années 1950, Armand Colin, Paris, 2019, p.69 à 72 et notes).

    

Sans doute, les 100 000 mineurs du Nord-Pas-de-Calais faisant grève en mai 1941 sous la botte allemande à l’appel du PCF et de la CGT clandestins, sous la direction, à Lens, du communiste Charles Debarge, sans doute, le communiste Pierre Georges (futur colonel Fabien) premier résistant à abattre, en août 1941, un soldat de la Wehrmacht sur le sol français, sans doute les maquis FTP de Corrèze et du Limousin, sans doute les Francs-Tireurs et Partisans de la MOI (Main-d’œuvre immigrée), qu’il s’agisse du groupe de l’Affiche rouge ou de Carmagnole-Liberté, sans doute le communiste Marcel Paul, qui organisa un réseau d’aide dans le camp de concentration allemand de Buchenwald, et qui créa EDF-GDF et son statut en 1946, sans doute les fusillés de Châteaubriant, de la citadelle d’Arras, du Mont-Valérien, sans doute les FTP (devenus FFI) de la région parisienne qui libérèrent Paris en août 1944, au mépris des consignes « attentistes » comptant sur les Américains, sous la direction des communistes Rol-Tanguy et André Tollet, et sans doute, à l’arrière-plan de tout cela, depuis juin 1941, les millions de soldats ouvriers et paysans de l’Armée rouge qui “joua le rôle principal dans notre libération” (dixit Charles de Gaulle lors de sa visite d’État à Staline en décembre 1944), étaient-ils des “collabos” aux dires des champions toutes catégories de Novlangue de l’Action française et de ses protecteurs de la dynastie Le Pen.

Eric Zemmour, quant à lui, avait déjà comparé les djihadistes partant pour la Syrie aux brigades internationales de la Guerre d’Espagne, pourtant animées par la défense d’un gouvernement légitimement élu face à un putsch fasciste. Le ministre Blanquer a également récemment fustigé le prétendu « islamo-gauchisme » de la France insoumise. Sans vergogne, l’Action française, plus macronienne que Jupiter et lavant plus blanc que le drapeau blanc, déclare que le Parti communiste « collabore aujourd’hui, main dans la main avec la France insoumise, avec le fascisme islamiste ». Plus c’est gros, plus ça marche. Au pas.


Le Parlement européen, des écolos à l’extrême droite, a mis récemment (19 septembre 2019) un signe d’équivalence entre nazisme et communisme ? Allons-y ! Pour l’Action française l’histoire commence le 23 août 1939 avec le Pacte de non-agression. Les longues années d’appel soviétique à la sécurité collective antifasciste, soutien à l’Espagne républicaine compris, n’ont jamais existé. La trahison de Munich, où lesdites démocraties occidentales ont laissé aux nazis « les mains libres à l’Est » n’a jamais existé, même si, de Maurras à Daladier, tout le monde – sauf les communistes – était munichois. Pour François Bel-Ker, le communisme présente des affinités « totalitaires » avec le nazisme. Et certainement pour lui l’antisémitisme de son père spirituel n’a rien à voir avec celui d’Adolf Hitler ? Et les liens d’avant-guerre entre la Cagoule et le fascisme italien relèvent du fantasme ?

Pour le secrétaire général de l’Action française, les seuls collabos dignes d’être mentionnés sont Déat et Doriot, c’est-à-dire des transfuges de la gauche. Comme c’est commode ! Cela permet d’ignorer tous les autres, à commencer par leur concurrent principal, le MSR (Mouvement social révolutionnaire), héritier de la Cagoule et de Maurras, qui fusionna un temps avec le parti de Déat. Il est vrai qu’il y a des « points de détail » jugés négligeables par certains de nos contemporains, comme cet historien Olivier Dard qui avait “omis” de mentionner l’antisémitisme de Maurras lorsque, à l’occasion du 150e anniversaire de ce dernier, il était cocassement prévu d’inscrire son nom dans le « livre officiel des commémorations nationales 2018 ».

Disons-le franchement, nous devrions nous réjouir de ce naufrage des héritiers de l’auteur de L’Avenir de l’intelligence dont l’indigence de l’argumentaire, et surtout la lâcheté intellectuelle à ne pas s’affirmer pour ce qu’ils sont, donnent la preuve manifeste qu’ils ne peuvent plus légitimement prétendre au magistère intellectuel que l’Action française a longtemps exercé sur toute une génération d’hommes de droite, jusqu’à constituer la matrice et le creuset du fascisme français. Faible consolation, en vérité, car le fascisme, qui n’est jamais la seule venue d’un parti fasciste au pouvoir mais plutôt l’union de toutes les droites contre la classe ouvrière, viendra sans doute d’ailleurs si nous n’y prenons garde.

Du côté de leurs interlocuteurs macroniens, le niveau n’est guère relevé : Benjamin Griveaux attribuait naguère à Marc Bloch une citation de Maurras ; Gérald Darmanin, quant à lui, confond, plus prosaïquement Churchill et Coluche. Dans cette nuit où toutes les vaches sont grises, où la bêtise revêt un front de taureau et où le colportage de vieux ragots anticommunistes fait de vous un profond penseur, gageons qu’on nous fera bientôt passer Zemmour et Onfray pour Voltaire et Rousseau.

Aymeric Monville, 11 novembre 2020

PS : Au fait, M. Darmanin, qu’attendez-vous pour appliquer à l’Action française le décret dissolvant les lignes factieuses et fascistes, que Laval lui-même, en janvier 1936, devant leurs crimes et méfaits attestés, dut signer sans jamais l’appliquer, les « républicains » eux-mêmes protégeant cette graine de collabos et d’hitlériens qu’était l’Action française ?