En 1996, Fidel CASTRO, conscient des souffrances de son peuple dans la guerre économique menée par les USA, accrues alors depuis 5 ans (disparition de l’URSS et du Comecon, donc de l’ensemble des associés économiques !), accrues par la loi Torriceli de 1992, et par les récentes lois Helms-Burton, va finalement au Vatican. Non pas pour prier. Mais avec respect, pour obtenir un soutien diplomatique international. L’acharnement inhumain étasunien contre Cuba est à son comble. Il obtient de Jean-Paul II (que personne ne soupçonnait ni ne soupçonne ni ne soupçonnera jamais de sympathie communiste !) sa visite sur l’île en 1998. La condamnation papale morale et universelle du blocus étasunien contre Cuba est sans équivoque. On aurait tord de sous-estimer ce fait, mais on aurait tord aussi de le surestimer ! Même si par la suite sous Benoît l’église s’est faite négociateur pour libérer des prisonniers cubains dits « politiques », ce n’est finalement que 18 ans après, qu’à la suite de 18 mois de négociations (grâce au secret absolu, patient et diplomatique canadien, recevant les délégations des deux pays concernés) que le pape François obtient du président Obama un échange de prisonniers historique : La Havane libère Alan Gros, véritable espion américano-sioniste subversif pour le compte de la CIA et du très officiel Département d’Etat (!), ainsi qu’un autre agent incontestable Rolando Sarraf Trujillo, ainsi que plusieurs dizaines d’autres agents étasuniens ; en échange, malgré leurs lourdes peines surréalistes, Washington libère Antonio, Ramón et Gerardo, qui sont avec Fernando et René (les deux déjà libérés et à Cuba, après avoir purgé la totalité de leurs peines injustes) : les 5 antiterroristes cubains. Ces derniers avaient été infiltrés fin des années 90 dans les milieux mafieux anti-cubains de Miami, à seule fin d’informer La Havane des projets d’attaques terroristes contre l’île : ils sont devenus très légitimement depuis 12 ans 5 héros de la République de Cuba, connus internationalement comme « les 5 de Miami ». Le retour de ces héros sur l’île a suscité joie populaire, sincère et fêtes spontanées, qui résonnent encore : c’était le 17/12/2014. C’était à la suite d’un long entretien téléphonique la veille, entre Barack Obama et Raúl Castro. Mais ce n’est pas là qu’un simple échange de prisonniers...
Il est réjouissant de savoir que Fidel à plus de 88 ans a pu assister à ce dénouement. « Volverán » (« Ils reviendront ») avait-il su nous inculquer cette inébranlable certitude il y a plus de 12 ans. Finalement « volvieron » (« Ils sont revenus »)… Surtout que de ce fait les principaux obstacles concrets, encore actuels à une possible « normalisation » des relations diplomatiques Cuba-USA, ont disparu. Ces relations étaient rompues depuis le 3 janvier 1961 : 53 ans… Depuis longtemps déjà Cuba souhaitait un rétablissement même partiel des relations diplomatiques, et des conversations dans le respect des souverainetés et indépendances. De gestion des flux migratoires certes, et surtout aussi de lutte anti-terroriste, tout en réclamant bien sûr la levée du blocus économique. Fidel président, l’expliquait ; Raoul aussi le répétait… Obama veut-il donner aujourd’hui une suite sensationnelle face au monde à sa poignée de main « historique » avec Raoul de l’an dernier ? Alors qu’un fâcheux « water-gate » aurait frustré la suite de celle entre Fidel et Nixon, en pleine guerre ouverte contre le Vietnam et l’appui US des pires dictatures sanglantes latino-américaines ?
L’ambitieux Obama veut marquer l’histoire, c’est clair et maintenant c’est assuré, à quelques mois de la fin de son second (et dernier) mandat, il renoue avec le généreux et libérateur en parole « Yes, we can ». Même si la réalité est autre… Et Guantánamo après la poignée de main, Mr President ? Seriez-vous aussi cynique que Mr Nixon, Mr President (spécialiste des drones de par le monde) ? En fait c’est le Congress qui aura le dernier mot sur le fameux blocus, et vous le savez : la levée n’est pas encore faite, donc. Affronter une opposition républicaine et démocrate dans un pays très divisé sur la question du blocus cubain, mais gagné à l’idée de sa levée à 70% selon les sondages, et où de nombreux gros affairistes –notamment ceux du Middel west d’agro-busyness- voient Cuba comme un grand marché très demandeur. Ce marché que vont bientôt occuper les Chinois ?… Busyness is busyness, n’oublions pas ! Dans une crise globalisée, ils savent tous que le gouvernement cubain est obligé et habitué depuis longtemps à payer cash… Le busyness donc est intéressant.
Le pragmatique Obama le sait aussi. La Chine, le réel grand adversaire des USA, est passé cette année première économie mondiale. Et elle est très présente sur le continent latino-américain. Les « risques » d’Obama sont très calculés : en image, c’est tout bénef pour lui ! Le congress finira par être aussi pragmatique, opportuniste et calculé que lui, vraisemblablement… Donc jusqu’où un processus de normalisation des rapports bilatéraux entre Cuba et les USA ? Nous verrons. En janvier 2015, Roberta Jacobson formalisera l’ouverture d’une ambassade US à La Havane à la place du SINA (Service des Intérêts Nord-Américain, mis en place depuis Carter, en pleine guerre froide, et où a sévi le sinistre et subversif James Cason de l’administration de W. Bush) : établissement donc de relations apaisées entre les deux pays ? L’arsenal législatif du blocus US anti-cubain (aggravé aux époques Clinton et W. Bush) est malheureusement loin d’être démantelé. Sera-t-il partiellement conservé ? Les séjours touristiques de citoyens étasuniens sont toujours interdits, par exemple. Quelques échanges d’affaires, de professionnels ou d’associatifs seront facilités, c’est vrai. Les transferts des USA vers Cuba, ne seront plus limités à 500 dollars par trimestre, mais à 2000… Les familles cubano-américaines se sentiront moins prises en otages, déchirées entre Cuba et USA, c’est vrai.
N’oublions pas que pour les USA, liberté (d’abord de commerce) signifie liberté d’exploiter : comme les cubains le savent, il est certain que les USA n’ont pas fait la paix en profondeur avec Cuba. Cette nouvelle « approche » dont parle Obama est un changement de stratégie anti-cubaine : blocus et terrorisme d’Etat seraient officiellement abandonnés. Cette stratégie coûtait plusieurs millions de dollars par an depuis trop longtemps (53 ans) et pour rien ! En plus les USA étaient unanimement condamnés (à l’exception de son allié Israël – d’ailleurs qui prétendrait qu’Israël soit prêt à ouvrir une ambassade à La Havane ?), au niveau international à l’ONU pour la 23ème année consécutive. Isolés aussi « continentalement » à l’Organisation des Etats Américains (leur propre création !). Isolés surtout face à l’ensemble des pays latino-américains (leur grand marché naturel !) qui en étaient arrivés, pour certains, suivant l’exemple de l’Equateur, à menacer officiellement de boycotter le prochain Sommet des Amériques d’avril 2015, si une nouvelle fois La Havane devait en être exclue !
Du véritable isolement de Cuba dans les années 90, le gouvernement cubain et son peuple par leur héroïque et patiente résistance unie nationale, ont su brisé cet isolement vers la fin de la décennie. Et c’est vrai : grâce au Vatican et au Venezuela de Chavez. Grâce à l’ALBA, quelques années après, à partir de 2004, et grâce à la poursuite de leur généreuse (mais coûteuse) politique internationale de médecins et alphabétiseurs : ils ont su pas à pas gagner la sympathie de l’ensemble du continent latino-américain, mais aussi en grande partie africain moyen-oriental et asiatique. Jusqu’à inverser réellement avant la fin de la décennie suivante, la tendance internationale : d’isolée, Cuba sous blocus est devenue en quelque sorte « isolante » pour les USA ! Qui eut pu le croire ? Nationalement aussi, quant à l’économie officielle, à force d’efforts collectifs : agriculture urbaine, « révolution énergétique », constructions d’infrastructures surtout hôpitaux, écoles et équipements touristiques et balnéaires etc. Cuba regagne depuis longtemps diplomatiquement et économiquement, c’est incontestable alors que les USA perdent leur hégémonie et leur influence, d’abord en Amérique même !
La récente annulation de la dette cubaine par la Russie de Poutine, les récents accords économiques avec le Brésil, et surtout le renforcement du rapprochement d’avec la Chine de ces 5 dernières années : cela (autant que l’étonnante résistance aux cyclones, comme Sandy...) a donné à réfléchir au president Obama et à ses conseillers, dans un monde en crise globalisée. Surtout que la construction de la zone franche de Mariel, vitale pour une reprise sérieuse de l’économie officielle cubaine, à 150 km de leurs côtes, les « menace » (toute proportion gardée !) économiquement : des capitaux brésiliens et chinois y sont majoritaires ! A longs et moyens termes la croissance cubaine positive et progressive est assurée ! Alors que les USA veulent eux concentrer leurs dépenses extérieures contre leur 2ème grand adversaire mondial, la Russie de Poutine sous embargo à son tour, et en graves difficultés de récession. Qu’adviendra-t-il de la guerre en Ukraine ?
Le président Raoul CASTRO qui entretient de bons rapports avec tous les pays du BRICS, notamment la Russie et la Chine, rappelle dignement que les sanctions économiques « qui causent [encore] d’énormes dégâts humains » à Cuba, restent à être levées. En concluant, pour son peuple « qui a appris à aimer Che Guevara », face à l’annonce de l’installation de l’ambassade US : « Nous devons apprendre l’art de vivre ensemble, de façon civilisée, avec nos différences ».
Miguel Esteban CASTRO, 22/12/2014.