De 1946 à 1948, 62.000 Polonais de France gagnent la mère-patrie à l’appel d’une Pologne qui tourne le dos à son passé féodal. Exit la Pologne de la dictature de Pilsudski ou des Colonels. Exit la Pologne de la toute puissance des nobles et de l’Église catholique, de la misère noire et des inégalités sociales. Le pays dont les frontières sont redessinés, relève le défi de la reconstruction. Les mineurs du Nord-Pas-de-Calais seront les fers de lance d’une gigantesque œuvre de redressement national, mais aussi de polonisation de territoires arrachés à l’Allemagne vaincue.
Ces rapatriés auraient regretté être retournés en Pologne. Ils auraient été victimes de la propagande mensongère du régime, puis empêchés de retourner en France. Depuis 70 ans, ont été relayées bien des approches caricaturales sur cette page parmi les plus glorieuses de l’amitié franco-polonaise. Loin des clichés réducteurs véhiculés par la frange la plus réactionnaire de la communauté franco-polonaise des partisans du gouvernement polonais en exil à Londres aux milieux cléricaux, Czeslawa Paczkowska et Stefan Wlodarczyk ont accepté de témoigner de leur vécu en Pologne populaire. Nous sommes en 1947. Czeslawa Paczkowska, 17 ans, vit au cœur du quartier de la Longue Pierre à Hersin-Coupigny. Stefan Wlodarczyk, 16 ans, travaille aux Forges et Ateliers de la Nave à Béthune. Ils ne se connaissent pas. Le 17 novembre, le destin va les réunir à la gare de Lens. Polonais émigrés dans les mines du Nord dans l’entre-deux-guerres, leurs parents ont décidé de retourner en Pologne, dans le cadre de la politique de rapatriements orchestrée par les autorités polonaises. Né en France, Stefan n’envisage guère avec enthousiasme ce départ surtout souhaité par sa mère « car elle avait de la famille en Pologne ».
Un voyage de sept jours
Czeslawa et Stefan gagnent dans le même wagon la Basse-Silésie, au cœur de ces « territoires recouvrés » dont les Allemands sont progressivement chassés. Le voyage dure sept jours, à travers l’Allemagne occupée et la Tchécoslovaquie. « Nous ne nous en sommes pas rendus compte, mais c’était long car notre convoi n’était pas prioritaire. On passait quand la voie était libre…Nous étions quatre ou cinq familles par wagon, assis dans la paille. Il y avait un coin pour les toilettes. Les couchettes étaient réservées aux personnes âgées et les femmes enceintes installées dans un wagon spécial », se souviennent-ils. Le 24 novembre, le convoi franchit la frontière sud du pays, à Miedzylesie. Des vivres sont distribués aux rapatriés, leurs papiers contrôlés… Il neige quand ils arrivent enfin à la gare de Bialy Kamien, un quartier de Walbrzych, poumon industriel de la Basse-Silésie. « Nous nous sommes installés tout de suite. Nos maisons appartenaient avant la guerre à des Allemands. Elles étaient vides, les murs avaient été repeints. C’était frais. Elles étaient confortables avec l’eau et les toilettes à l’intérieur. La salle de bain équipée d’un feu au charbon était à la cave. Six familles se la partageaient », précisent-ils.
Une aristocratie ouvrière
Un frère de Stefan est immédiatement embauché à la mine qui portera le nom de Maurice Thorez, éminent dirigeant du Parti communiste français. Après une expérience initiale dans un atelier de fabrication de voitures pour enfants, Stefan entame, en 1956, une carrière de houilleur, lui aussi, à « Thorez ». « C’était facile d’entrer dans les mines parce qu’on avait besoin de main-d’œuvre. Les mineurs constituaient une aristocratie ouvrière. Ils avaient des avantages comme celui d’obtenir huit tonnes de charbon par an. Les salaires y étaient plus élevés qu’ailleurs. Aussi, ont-ils pu être jalousés. Ici, en Basse-Silésie, les conditions de travail étaient très bonnes. Il n’y avait pas de poussière quand on forait », explique celui qui travailla à l’abattage jusqu’à sa retraite.
« Libre en Pologne populaire »
Pour sa part, Czeslawa se consacre à l’éducation de leurs enfants… qui naîtront d’un mariage contracté en 1951. Ont-ils envisagé un retour en France ? Stefan ne se posera pas la question. «Nous étions installés puis les enfants sont venus au monde. C’était comme ça. Nous étions jeunes. On avait une vie normale, on allait au bal, on s’amusait. On ne pensait pas à la politique », fait remarquer un homme qui se sentait « libre » dans la Pologne populaire. Il y avait « bien une armée russe, mais pas des policiers à tous les coins de rue. On pouvait changer de métier ou d’habitation si on le désirait. Je n’avais pas de problèmes pour écrire à mes frères restés en France ».
Amoureux de la France
Désormais, Stefan et Czeslawa coulent des jours paisibles dans ce quartier de Bialy Kamien qu’ils n’ont finalement jamais quitté… hormis bien sûr pour rendre visite à leurs parents et amis restés en France ! En 1970, Stefan accueillait l’arrivée d’Edward Gierek (ancien mineur de Leforest expulsé suite à la grève d'août 1934), aux commandes de l’État polonais « avec une certaine fierté car il faisait parfois des discours en français » ! Une langue qu’il continue de cultiver volontiers en regardant les chaînes de télévision françaises et en y savourant les prestations de l’accordéoniste nordiste Michel Pruvot très populaire auprès de la communauté francophone. Quant à Czeslawa qui « préfère toujours parler français que polonais », elle a longtemps été l’une des chevilles ouvrières de la Chorale francophone . En septembre dernier, toujours aussi attachée à la France et sa culture, elle se rendait à l'ancienne mine Thorez transformée en musée, à l'inauguration d'une exposition consacrée à ces « retours oubliés » à l'occasion de leur 70e anniversaire.
Jacques KMIECIAK
Les rapatriements ? agir plutôt que subir…
Inquiet des départs « sauvages » des travailleurs polonais observés dès 1945, l’État français, engagé dans la « Bataille du charbon », préfère organiser les retours en Pologne d’une main-d’œuvre appréciée pour ses aptitudes professionnelles depuis son arrivée dans les mines du Nord dans l’entre-deux-guerres, plutôt que de les subir. Les rapatriements seront ainsi régis par quatre accords franco-polonais, dont le premier est signé en février 1946. Le départ initial se fait de la gare de Lens, le 15 mai 1946. Les convois se succéderont de Lens, Bruay-en-Artois, Douai, Valenciennes et Arras (pour les ouvriers agricoles) jusqu’en décembre 1948. Les mineurs du Nord-Pas-de-Calais et leur famille sont acheminés jusqu’en Silésie (Bytom, Gliwice, Walbrzych…). Payé par la République polonaise qui, pour la première fois de son histoire, invite « ses enfants disséminés à travers le monde au retour », le voyage dure une semaine. A leur arrivée, les mineurs sont assurés de trouver un travail et un logement. Au total, de 1946 à 1948, 62 000 Polonais de France (soit près d’un sur cinq) feront le choix du retour.
J K
Réédition de « Découverte de la Pologne, 1948 » de Jacques Estager
A l’occasion du 70e anniversaire des rapatriements, les Amis d’Edward Gierek ont fait rééditer l’ouvrage que Jacques Estager avait consacré au sujet. En août 1948, comme envoyé spécial de Liberté, Jacques Estager accompagne un convoi de rapatriés de Douai à Walbrzych. Une réédition en forme d’hommage à ces patriotes Polonais du Nord, bâtisseurs de la Pologne populaire et artisans de son redressement. Une façon aussi de saluer le remarquable travail d’investigations réalisé par Jacques Estager.
· « Découverte de la Pologne, 1948 », 12 euros, Editions Nord-Avril. Renseignements au 03.27.90.54.90.
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