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Vladimiro Giacchè, économiste italien, est l'auteur d'un livre sur l'unification allemande qui vient d'être publié en français: "Le second Anschluss : l'annexion de la RDA" (éditions Delga). Dans cet entretien accordé à La Tribune, il dresse un bilan critique de ce qu'est devenu le pays 25 ans après sa réunification .
Vladimiro Giacchè est un économiste, actuellement partenaire d'une société financière, Sator, et président du Centre de recherche européenne de Rome. Il a écrit en langue italienne plusieurs essais depuis 2010. En 2014, il a publié un ouvrage sur l'unification allemande qui est aujourd'hui traduit en français aux Editions Delga*. Cet ouvrage, "Le Second Anschluss", déconstruit un des grands contes de fées contemporain : le succès de la réunification allemande. Dans un livre richement documenté et à la logique implacable, Vladimiro Giacchè montre que la RDA de 1989 était certes une économie déclinante, mais elle n'était pas « en banqueroute » comme l'ont prétendu les dirigeants ouest-allemands pour justifier une union monétaire rapide.
Il montre également que, avec cette union, mais aussi avec la mise en place de la Treuhand, l'organisme chargé de la « gestion » de l'économie est-allemande, et encore avec la création de « dettes envers l'Etat » des entreprises dont la légalité était douteuses, la RFA a procédé à une liquidation en règle d'une économie entière. Une liquidation qui s'inscrivait dans une négation complète de l'histoire de la RDA, dans sa réduction « à une note de bas de page de l'histoire allemande ». « Nous ne partons pas du principe de légitimité égale. Il y a la Loi Fondamentale et il y a la République fédérale allemande. Nous partons du principe que vous en avez été exclu pendant quarante ans », résumait Wolfgang Schäuble, le négociateur de l'unification pour la RFA devant ses homologues de l'est. Aucune chance n'a, en réalité, été laissée aux entreprises est-allemandes. Place nette aura été faite pour les groupes ouest-allemands et la population de l'ex-RDA en aura fait les frais. C'est pourquoi Vladimir Giacchè revendique le terme « d'annexion » qui a été banni du débat public allemand.
25 ans après la réunification, il est peut-être temps d'ouvrir ce dossier. D'autant que le scandale Volkswagen est venu rappeler que « l'exemplarité » allemande demeure sujette à caution. Valdimiro Giacchè y contribue, et il a accepté de répondre aux questions de La Tribune.
*V. Giacchè, "Le second Anschluss : l'annexion de la RDA", Delga, 2015, 201 pages, 19 euros.
La réunification allemande est généralement présentée comme un succès économique. Etes-vous d'accord avec cette vision ?
Vladimir Giacchè. Non. Mais, ce n'est pas moi, ce sont les chiffres qui décrivent une réalité différente. Dans l'ancienne Allemagne de l'Est, plus de 40 % de la population vit de transferts sociaux. Le taux de chômage est un peu moins du double de celui de l'ouest, le PIB par habitant se situe environ à 75 % de celui l'ouest (mais dans le seul secteur privé, il est plus bas d'encore 10 %). Au cours de ces 25 années, l'émigration vers l'ouest a concerné un peu moins de 3,8 millions de personnes sur une population de départ de 16 millions de personnes, alors que seulement 1,8 million d'Allemands de l'ouest ont fait le chemin inverse.
Les conséquences de cette situation sont un écroulement de la natalité, un vieillissement de la population et un dépeuplement des villes. Il ne s'agit pas là d'opinions, mais de faits. Et c'est aussi un fait que l'ancien territoire de la RDA depuis la chute du mur de Berlin a connu un des taux de croissance les plus bas parmi les anciens pays du bloc de l'est. Si l'on ajoute à cela que la contribution de ces territoires au PIB total allemand est inférieur à celui de la RDA (moins de 11 % en 2011 contre 11,6 % en 1989), il paraît évident que l'on ne peut imputer la responsabilité de cette situation à ce qu'il y avait avant ou au seul régime d'Honecker. La RDA faisait partie du bloc socialiste, comme la Pologne, qui était alors beaucoup plus arriérée et qui, ensuite, a connu des taux de croissance bien plus élevés. On peut faire la même constatation pour la République tchèque et la Slovaquie, et d'autres encore. L'ex-RDA reste un Mezzogiorno au centre de l'Europe.
Comment expliquez-vous cette situation ?
Elle s'explique en grande partie par la façon dont a été conduite l'unification de l'Allemagne, en particulier l'union monétaire voulue par Helmut Kohl, qui a ouvert la voie à l'union politique réalisée le 3 octobre 1990, mais qui a désertifié industriellement l'Allemagne de l'Est.
Pourquoi ? Quelles ont été les conséquences pour l'ex-RDA et pour l'Europe des choix monétaires du gouvernement Kohl ?
L'union monétaire des deux Allemagnes, entrée en vigueur le 1er juillet 1990, a été réalisée au mépris des avis négatifs émis par les experts économiques du gouvernement d'Allemagne de l'ouest et même du président de la Bundesbank. Ces derniers mirent en garde contre une union monétaire faite à la hâte, sans prévoir aucune période de transition. De plus, elle a été réalisée avec des taux de change totalement irréalistes. Le taux d'un mark de l'ouest pour un mark de l'est était absolument insensé si l'on prend en compte le fait que les rapports commerciaux entre les deux Allemagne en 1989 étaient établis sur un taux (accepté évidemment par les deux parties) d'un mark de l'ouest pour 4,44 marks de l'est.
Ce taux de change a signifié une chose très simple : une réévaluation des prix des biens produits à l'est de 350 %. Le même gouverneur de la Bundesbank, Karl Otto Pöhl, a déclaré plus tard que, de cette façon, l'économie de l'Allemagne de l'Est « fut soumise à un remède de cheval auquel aucune économie ne peut survivre ». Et de fait, les industries de l'Allemagne orientale perdirent, littéralement en un jour, trois types de marchés : celui de l'ouest, celui de l'intérieur de l'ex-RDA et celui de la Russie et des pays de l'est. Alors que, dans le même temps, les industries de l'Ouest se virent ouvrir les portes d'un marché de 16 millions de consommateurs. Ce sont ces mêmes industriels de l'ouest qui ont parlé du « boom de la réunification » pour l'ouest. Mais, pendant ce temps, les « blühende Landschaften », les « paysages en fleurs » promis par Helmut Kohl à l'est ne sont jamais venus. Les Länder de l'est ne sont absolument pas, 25 ans après, en mesure de s'autosuffire, mais ils doivent encore dépendre des transferts massifs du gouvernement fédéral, qui, en grande partie, finance la consommation.
Et pour l'Europe, quelles ont été les suites de cette unification ?
Pour l'Europe, les conséquences de l'unification allemande (monétaire, puis politique) ont été en particulier l'accélération de la construction européenne voulue par Mitterrand pour « contenir » la puissance d'une Allemagne qui avait acquis à nouveau une centralité géopolitique en Europe. L'Union monétaire européenne elle-même était une partie de ce dessein. Ses résultats ont cependant été opposés à ceux que l'on espérait alors : la Banque centrale européenne est devenue une sorte de Bundesbank continentale et l'orthodoxie néolibérale allemande a fini par s'imposer à toute l'Europe.
L'unification monétaire allemande peut-elle être considérée comme un modèle de la création de l'euro ?
Je ne dirais pas que c'est un modèle, si on signifie qu'il s'agit d'une répétition ponctuelle et intentionnelle de toutes les caractéristiques de l'union monétaire. Ainsi, dans le cas de l'euro, il n'y a pas une réévaluation anormale des autres monnaies par rapport au mark dans la fixation du taux de change. On peut cependant souligner qu'une réévaluation a bien eu lieu et, par exemple, dans le cas de l'Italie, le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer - qui faisait partie de l'équipe de négociateurs de l'union monétaire allemande - négocia le taux de change avec beaucoup d'obstination.
Il existe cependant un parallèle possible ?
Oui, car l'essentiel est ailleurs. Aujourd'hui, beaucoup d'économies européennes souffrent des mêmes maux que celle de l'Allemagne de l'Est après l'introduction du mark de l'ouest : chute du PIB, désindustrialisation, taux de chômage élevé, déficit de la balance commerciale, émigration. Ce n'est pas un hasard. La monnaie unique a accentué la spécialisation productive en Europe, en renforçant le principal producteur de produits manufacturiers au détriment des pays ayant une productivité du travail plus faible. Ce processus a été aggravé par une politique mercantile allemande agressive - une politique économique qui mise tout sur les exportations, au point de sacrifier la demande intérieure.
Cette politique a été rendue possible par deux mouvements : les relations de sous-traitance avec les pays à bas salaires de l'est européen qui ne font pas partie de la zone euro et la réforme du marché du travail menée par Gerhard Schröder. Grâce à « l'Agenda 2010 », la dynamique salariale allemande s'est maintenue bien en dessous de l'inflation et même de l'augmentation de la productivité du travail. Cette productivité a, entre 2000 et 2012, augmenté de 14 %, mais les salaires réels ont diminué de 1 %. En France, dans le même temps, la productivité a progressé de 12 %, mais une grande partie de cette hausse a été transférée aux salaires.
La monnaie unique empêche une récupération de la compétitivité par le réajustement des taux de change et l'adoption d'une politique mercantile dans un tel contexte a créé des déséquilibres croissants des balances commerciales à l'intérieur de la zone euro. Ceci a conduit à une désindustrialisation progressive dans les pays de la périphérie, mais aussi en France, qui, en revanche, a permis à l'Allemagne, de renforcer grâce aux exportations la composante industrielle de son PIB.
Cette désindustrialisation est commune avec celle de la RDA ?
Cette désindustrialisation de la périphérie contient, à la longue, des logiques explosives, et rend nécessaires des transferts du centre vers la périphérie. Si je veux que la zone euro appauvrie et désindustrialisée continue à acheter mes marchandises, je dois financer ses consommations. C'est ce qui s'est passé avec la RDA. Mais c'est justement cette partie du modèle que l'Allemagne se refuse à copier. Elle préfère maximiser ses avantages à court terme.
Il est clair qu'une union monétaire qui alimente de tels déséquilibres en son sein ne peut résister à long terme. On ne peut davantage penser qu'elle puisse fonctionner par la pure et simple exportation du modèle de « l'Agenda 2010 » dans les autres pays. Pour deux raisons. La première est que toute politique mercantile fondée sur la déflation salariale suppose nécessairement que les autres ne suivent pas la même politique. Autrement, le seul résultat sera une course à la baisse des revenus et ce sera un appauvrissement généralisé. La deuxième raison est que la diminution des salaires dans les pays en crise affaiblit la demande et frappe les entreprises qui travaillent sur le marché intérieur, avec, comme résultat, de détruire la capacité productive et d'aggraver la crise. On l'a vu en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie et aussi en France.
Dans le nouveau mémorandum grec, il existe un « fond de privatisation » qui semble inspirée par la Treuhand allemande. Le parallèle vous semble pertinent ?
Il est absolument pertinent. La Treuhandanstalt, l'institution qui a privatisé entièrement l'économie de l'Allemagne de l'Est, a été explicitement proposée à la Grèce comme un modèle à suivre depuis 2011 par Jean-Claude Juncker, qui était alors président de l'Eurogroupe et est aujourd'hui président de la Commission européenne. « Je saluerais avec plaisir le fait que nos amis grecs créent une agence de privatisation indépendante, sur le modèle de la Treuhandanstalt allemande, dans laquelle des experts étrangers auraient aussi une place », a-t-il alors affirmé.
L'adoption de ce modèle a été définitivement établie dans le dernier « plan de sauvetage » de la Grèce signé par le gouvernement Tsipras. Et ceci est paradoxal : la Treuhand détruisit une richesse de l'ordre de 900 milliards de marks de l'ouest (environ 450 milliards d'euros, NDLR) et fut tâchée de scandales d'escroqueries et de corruptions. Il y a même eu une commission d'enquête parlementaire sur elle. Il s'agit d'une institution qui, avec le mot d'ordre: « la privatisation est le meilleur assainissement », opéra de fait une liquidation des actifs industriels de la RDA, déjà dévalorisés par l'union monétaire. Les conséquences pour la Grèce seront les mêmes : une liquidation du patrimoine d'infrastructures et des industries d'Etat
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